Bien vivre à Montfermeil

By | 10 janvier 2011

montfermeilDéjà 10 jours depuis les festivités du nouvel an… festivités ? Pas pour tout le monde. A Montfermeil, en Seine Saint Denis (93), le nouvel an n’a pas vraiment été une fête pour cette communauté évangélique qui a vu son église incendiée, pas plus d’ailleurs que pour les policiers qui ont vécu cette fusillade. Tu parles d’une fête ! Si on en parlait justement, un peu. Pas du nouvel an, mais juste un peu de Montfermeil.

Montfermeil… ça faisait un bail que je n’avais pas eu à écrire ce nom. 20 ans, pile. Fash-back. Assis-toi, je vais te raconter un peu ma vie. J’ai vécu à Montfermeil toute mon enfance, jusqu’à l’âge de 14 ans. J’y ai laissé un tas de souvenirs : des bons… et des moins bons, pour employer l’habituelle litote. Oui, j’ai grandi dans le neuf-trois, mais pas dans la crainte ou la misère, contrairement aux clichés. Enfin pas au début. Montfermeil et ses alentours, du moins dans mon enfance, c’était d’abord des quartiers tranquilles, des commerçants sympas, un panel d’activité culturelles et sportives intéressant. J’ai fait l’école et le collège publics, le centre aéré et les clubs de sport municipaux, j’ai parcouru en vélo et en skateboard toutes ses rues, celles des quartiers pavillonnaires, comme celle des cités. J’habitais non loin des Bosquets, cette cité, dont je n’ai pas compris tout de suite, le jour où on m’a dit : non, il faut éviter d’y passer.

Montfermeil, j’y ai fréquenté mes premières petites amies, j’y ai usé le pavé, et fait un peu de foot avec les copains d’école. A un détail prêt : mon truc à moi c’était plutôt la gym acrobatique, le trapèze volant et le trampoline. Avec ça, on se la pète moins dans la cour de récré et on visite plus souvent les hôpitaux que la moyenne de nos semblables, mais quand on est un jeune drogué à l’adrénaline, comme je l’étais, le foot ça a quelque chose d’étrangement insignifiant, et surtout ça sent un peu trop les hormones. Petite pique aux footeux pour dire que, ce qui était bien, c’est que dans ma petite banlieue je pouvais faire tout ça facilement ; pourtant des activités qu’on ne trouve pas à pratiquer partout. Pour la dimension culture et sociale, j’ai même eu l’occasion d’y faire un bide disque, pour une campagne anti-tabac (oui c’est moi à 11 ans, le petit blond la tête en bas sur la pochette). Grâce à ça, j’ai pu rencontrer Christophe Dechavanne et Demis Roussos. La chance ! Blague à part, tout ça, ça reste vraiment d’excellents souvenirs.

Mes parents eux n’étaient pas plus musiciens que sportifs, et l’un des rares cours de sport auquel ma mère s’est inscrite un jour, c’était du self-défense. De ce que j’ai compris, ce n’était pas pour entretenir sa ligne. Depuis, j’ai eu l’occasion de me dire que j’aurais dû suivre son exemple. Parce que le fils de Caligula Minus et de Spiderman que j’étais avait beau être monté sur ressort… en face d’un autre mec de mon âge un poil malveillant, je n’en menais pas large. A part grimper aux arbres plus vite que mon ombre, je n’avais pas un grand panel de stratégies de défense en magasin.

C’est là, si tu me suis, que j’arrive un peu sur la partie « mauvais souvenirs ». Les années collège ont porté leur lot de petits traumatismes. On pourrait dire que c’est un âge où on est naturellement plus exposé. Mais il n’y avait pas que ça. Il se trouve qu’en fond, il y a eu surtout comme un changement d’époque, et la seconde moitié des années 80 en Seine Saint Denis, ça a commencé à craindre sévère. D’ailleurs, à la même époque, mon petit frère était encore en primaire le jour où il m’a demandé de venir le défendre contre des CM2 qui le rackettaient. Quand j’ai entendu « CM2 », j’ai répondu « pas de problèmes, je vais leur coller une raclée à ces nabots. » Hmm… comment dire ? On a eu de la chance de s’en sortir avec un peu de diplomatie (oui, c’est un talent que j’ai développé là-bas). Quelques années plus tôt, je n’avais pas eu à connaitre ça en primaire.

Et puis d’autres fois, la diplomatie n’y a rien fait. J’arrivais sur mes 14 ans et mes parents en avaient déjà marre depuis un moment de la banlieue et du rythme métro-boulot-dodo. Notre déménagement pour la Vendée était déjà planifié et il ne nous restait plus qu’à terminer notre année scolaire, mon frère et moi. Je rentrerais en seconde dans un « lycée de cambrousse », et mon petit frère en sixième dans un « collège de bouseux » (désolé, les considérations sont d’époque : c’est malheureusement un peu comme ça qu’on le percevait du haut de notre centralisme parisien). Il n’a pas fallu grand-chose pour que ce qui m’apparaissait encore un peu comme un exil forcé devienne un exode salutaire.

Un mercredi après-midi, avec mon meilleur ami de l’époque, on rentrait de la patinoire, lessivés par nos courses de vitesses : c’était mon dernier dada de collégien boutonneux, adrénaline et drague réunies en une seule activité. Mon ami était d’une famille de cathos pratiquant, et j’étais un peu sa mauvaise fréquentation. Je me demande encore comment ses parents pouvaient me faire confiance, moi le jeune voyou mécréant même pas baptisé. Leur côté catho sans doute.

En partant de la patinoire, où nous n’étions pas censé être, nous avons loupé notre bus. Il y en avait un autre juste après, pas du même circuit, avec un  arrêt vraiment pas loin de chez nous. Niveau distance on n’y perdait pas grand-chose et on rentrerait à l’heure prévue, ni vu ni connu. J’ai donc suggéré qu’on prenne celui-là. Mais là où le bus nous arrêtait, c’était en plein coeur de la cité des Bosquets. Il en fallait plus pour m’inquiéter, personnellement. Que pouvait-il nous arriver en plein après-midi ? En passant au milieu des barres, nous avons entendu, par la fenêtre d’un foyer du rez-de-chaussée : « Eh venez par là, vous… c’est à vous que j’parle, sales français ». Une voix de gamin… j’ai juste haussé les épaules et on a continué d’avancer.

Au carrefour suivant, mon pote m’a suggéré que ce serait le bon moment pour se mettre à courir. Je me retourne et je vois derrière nous une bande de gosses. J’ai re-haussé les épaules : « on n’est pas dans un western là, c’est bon.  C’est des gosses. » Ils nous ont rattrapé, et comme je le supposais, en me montrant sympathique et naturel avec eux, ils sont revenus à un ton plus « sympa ». Surtout sur l’impulsion du plus grand, qui devait avoir notre âge, et qui a fait signe aux autres gamins de se calmer. Comme on n’était pas trop sur du chemin au milieu des barres, il nous a indiqué où tourner, en nous souhaitant une bonne journée. Bref, très sympa.

On a tourné… et ils nous ont sauté dessus, bombes lacrymogènes et cutters à la main. Je n’ai rien compris. Je me suis retrouvé plaqué contre un mur et me suis fait dévalisé par des gamins de 10 ans, dirigés par un ado de maximum 14 ans. Mon pote s’est débattu un peu, a réussi à s’enfuir : c’était un bon sprinter, et il a commencé à les semer. Puis en se retournant, il a vu dans quelle situation j’étais, alors il a fait demi-tour… et s’est fait cogner. Ca devait être son côté catho, là aussi.

Arrivés prêt de chez nous, on s’est quitté en silence, après que je me sois excusé en long en large et en travers pour nous avoir attiré là, ne pas avoir suivi son conseil, et parce qu’en plus de ça il s’était fait cogner en renonçant à s’enfuir pour moi (oui, j’en avais un peu gros sur la patate, là). J’ai eu le droit à une seconde douche froide en me jettant dans les bras de mes parents pour pleurer toutes les larmes de mon corps… et en me faisant incendier par ma mère : « Qu’est-ce que vous êtes allé foutre aux Bosquets ! ». Je crois qu’elle a eu très peur, et c’est la colère qui a parlé. Puis on est quand même allé porter plainte. Au commissariat, le policier qui m’a accueilli a lancé un « encore toi ! » (cf. plus loin). Puis il nous a redit de ne pas nous faire d’illusions : les Bosquets, ils n’y vont presque plus, surtout pour des cas comme ça. « C’est bête, a dit le policier, mais c’est que des gosses. En attendant, toi, tu vas me faire plaisir, tu ne sors plus de chez toi ». J’ai compris que les rumeurs que je n’arrêtaient pas d’entendre n’étaient pas forcément que des rumeurs. Tu peux vraiment commencer à racketter à 9 ans, ou à dealer, et pas que de l’herbe. Quant à la police, elle n’était pas très  à l’aise avec cette « cité d’à côté ».

Après cette histoire, j’ai quand même bien failli devenir un poil raciste, il faut avouer. Des racistes, il y en avait un bon paquet dans mon environnement, souvent sans raison. Moi je m’étais fait attaquer par une bande d’arabes ! Oui des racistes il y en avait beaucoup, et pas que des français d’ailleurs, la preuve : en se faisant agresser, on s’étaient fait traiter de « sales français ». Ca me démangeais sévère de rentrer dans le rang de ceux qui comploteraient contre les « sales arabes », après m’être fait humilier comme ça. Mais le truc, c’est que j’avais un peu beaucoup de potes d’origine maghrébine. Je serais devenu un peu schizophrène, en plus de devenir raciste. D’autant que si il n’y avait eu que ça… mais attends que je te raconte la semaine juste avant.

Si le policier qui m’a vu arriver au commissariat a lancé un « encore toi », c’est qu’il m’avait vu juste une semaine avant. C’est là que tu vas comprendre pourquoi on est allé à la patinoire en bus. Comme ma famille était sur le point de déménager en pleine campagne, pour habiter un village à 10km de la première vraie ville, mes parents ont jugé opportun de m’assurer une future autonomie de déplacement. Ils ont donc profité pour cela de l’offre d’un copain de classe qui vendait son scooter. Je n’y croyais pas quand mes parents l’ont acheté. Eux n’y ont pas cru quand ils ont voulu l’assurer contre le vol ! Pas moyen. Ou alors pour un prix totalement dissuasif. Mes parents se sont dit que ce n’était pas grave, ils pourraient difficilement m’empêcher de l’utiliser pour le mois qui nous restait à passer là, mais en faisant attention – il était juste hors de question que j’aille au collège avec, où j’avais déjà laissé deux vélos – et en l’enfermant bien dans le garage, on ne devrait pas trop prendre de risque. En fait, je l’ai gardé seulement une semaine.

Un après-midi, à une rue de chez moi, des caïds du même collège que moi que je connaissais, assez aisés ou très débrouillards (le genre sapés en Nike des pieds à la tête – à l’époque c’était un signe extérieur de richesse) se sont arrêté à ma hauteur. Sans enlever leur casque intégral, ils m’ont obligé à descendre du scooter et sont parti avec. Comme je les connaissais, je les ai signalé à la police, mais j’ai aussi dit qu’ils n’avaient pas enlevé leur casque, et que techniquement je n’avais pas vu leur visage. Le policier, de son côté, savait très bien combien de minutes il fallait pour désosser un scooter et en éparpiller les pièces pour la revente. On n’avait aucune preuve, c’était mort. Et évidemment, pas d’assurance. Je n’avais plus qu’à raser les murs au collège pour le mois qui restait, avec le numéro du flic toujours dans la poche. Ces caïds-là, ils faisaient précisément parti du genre de « clans » dont je parlais plus haut : un peu bon chic bon genre, à te sortir du « sale arabe » à la pelle. J’aurais été un peu basané, j’y aurai certainement eu droit en prime du vol de scooter. Alors même si une semaine après je me suis fait « dépouiller » par une bande d’arabes, non je ne suis pas devenu raciste. Je suis juste devenu vendéen.

Du fin fond de ma Vendée d’adoption, j’ai continué de suivre un temps le devenir de Montfermeil. J’y ai vu œuvrer Bernard Tapis, peu de temps après qu’on soit parti, en tant que ministre de la ville. J’y ai suivi l’affaire de voile à l’école. Et puis j’ai peu à peu oublié : les agressions, les menaces, les bastons hebdomadaires au collège, les vols à l’étalage dont je m’étais moi-même déjà rendu coupable plus d’une fois (c’était toute une culture). Dans mon nouveau lycée vendéen, vu là d’où je venais, c’était un peu moi le caïd désormais. Et là, quand j’entendais un mec sortir des trucs du genre « les arabes, tous des voleurs », j’avais vraiment pitié : pourtant, en Vendée on pouvait difficilement parler d’un choc des communautés !

Le problème c’est qu’encore aujourd’hui on te présente les cités comme des ghettos ethniques, ce qui est une vaste fumisterie, et on te dessine la viuolence sous les traits de guerres de communautés. Moi une chose m’a particulièrement frappé par rapport à ces expériences, un poil traumatisantes quand même : ces gamins, leurs parents ignoraient tout de ce qu’ils faisaient de leurs journées. Comme moi, ils trainaient dans la rue à longueur de temps. Bien sur il y avait l’école, mais même pour moi qui n’était pas un « vrai voyou », l’école était devenue facultative. Quand on n’avait pas envie d’y aller, on n’y allait pas. On ne disait rien aux parents et on signait les mots pour eux. Et on trainait, on fumait, on taguait, et on cherchait des tas de conneries à faire pour s’occuper. Dans l’impunité la plus totale. A Montfermeil on a longtemps pointé du doigt les problèmes des ghettos et des communautés issues de l’immigration. Mais le problème ce n’est pas l’origine géographique ou culturelle des personnes. Le problème fondamental qui a transformé certains quartiers en jungle, c’est d’abord un problème d’éducation. Quand la délinquance est banalisée et qu’il n’y a plus de référentiel moral, ça devient tout simplement la loi de la jungle. Après, le degré de violence peut différer d’un coin de la France à un autre, mais d’une manière générale pointer du doigt la violence c’est déjà prendre le problème beaucoup trop tard.

Un dernier exemple pour illustrer ça : au lycée, j’ai commencé vers 16 ans à sortir en boîte (donc en Vendée, si tu as suivi mon histoire). J’ai assez rapidement monté une petite arnaque toute simple pour boire à l’œil, et j’en faisais profiter les copains. Quand ma mère a commencé de poser des questions sur les petits préparatif que je faisais avant de sortir, très fier de moi, je lui ai expliqué ma combine. Tu me croiras si tu veux : je me suis fait engueuler, dis donc ! J’ai demandé pourquoi, d’autant que ça ne criagnait vraiment rien. La réponse de ma mère m’a laissé perplexe un bon moment, sans doute parce que c’était une des premières fois que je l’entendais : « parce que voler c’est mal ! ». Moi qui croyait que voler c’était mal uniquement quand on risquait de se faire piquer. Voilà que mes certitudes morales venaient d’en prendre un sérieux coup.

Je ne voudrais pas faire de la relative absence de préceptes moraux dans mon éducation une généralité concernant toute la jeunesse, mais quand même quoi. J’avais un copain de classe, parmi la foule des autres, qui vivait dans la cité des 4000. Il était sympa, très fréquentable, on s’entendait bien. Le jour où il est arrivé en cours avec une doudoune trop petite pour lui, je lui ai demandé ce qu’il fichait avec ça. Il m’a juste répondu qu’il avait croisé un petit sur le chemin et que sa doudoune lui avait plu. Et j’ai rigolé. Rien que d’y penser, je pleure sur l’absence abyssale de repères moraux qu’on pouvait avoir. Les moins délinquants, comme moi, ne l’étaient moins que parce qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner. Point barre.

Comme tu vois je me suis écarté un peu de l’actualité de Montfermeil, concernant notamment cette église évangélique brûlée. Comme l’a signalé Henrik Lindell, pratiquement personne n’en a parlé. Je n’en sais pas plus que les autres sur ce sujet et c’est pourquoi je n’ai pas grand chose à en dire. Mais ce que je sais, c’est que quand je suis parti de là-bas au début des années 90, Montfermeil commençait à devenir une usine à faits divers sordides. Je ne suis pas certain qu’il y ait vraiment à en commenter un plus que les autres. Pas moins non plus, ceci dit. Il y a de la compassion et du soutien à exprimer, il y a à redoubler d’efforts pour les autorités, mais au-delà de ça, je crois qu’il ne faut pas chercher le problème de fond de ces violences dans la persécution religieuse, bien assez réelle en d’autres contrées. A Montfermeil, si les choses ont évolué dans le sens où je les ai laissé il y a 20 ans, une église sera brûlée moins pour la foi qu’elle professe que parce qu’elle constitue un antidote contre la délinquance, contre la loi de la jungle, et le désespoir des plus faibles. Le virus attaque… pour se défendre contre tout ce qui pourrait tenter de remettre un peu de justice, et de « bien vivre ensemble » dans la cité. C’est déjà bien assez triste comme ça, et cela devrait d’ailleurs suffire à susciter notre indignation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.