Pour Anna

By | 12 juillet 2012

La Visitation, peinture de Macha ChamkoffJ’ai hésité à publier cette histoire. Elle est un peu particulière. Et puis intime, surtout. J’en ai besoin, je crois, comme pour en laisser une trace un peu lyrique. Pour Anna. Pour plus tard.

Ça a commencé fin avril. Je me suis réveillé un matin complètement bouleversé par mon rêve. Ce n’était pas un rêve, mais quelque chose de différent. Quelque chose d’incroyablement réel. J’ai prié le Seigneur qu’il m’aide à comprendre ce que j’ai alors pensé être un songe. J’ai attendu, je l’ai gardé pour moi plusieurs jours, essayant de confirmer raisonnablement mon expérience. A ma manière, j’ai enquêté un peu. Puis ce fut trop lourd. Une semaine plus tard, j’en ai donc parlé à ma femme. Un matin là encore. Au réveil, je l’ai prises dans mes bras, et en posant mes mains sur son ventre, je lui ai dit : j’ai fait un rêve un peu particulier. Tu es enceinte d’une petite fille, elle s’appelle Anna. Ma femme a trouvé ça simplement mignon, mais j’ai précisé. Ce n’était pas juste un fantasme. Je lui ai « parlé ». Ce que j’ai vécu dans mon sommeil était incroyablement réel. Une petite fille, pas encore née. Tout ce que je savais c’est qu’elle s’appelait Anna, et c’était comme si je lui avais fait un câlin en rêve. Mais sans savoir si c’était moi qui la tenais dans mes bras, ou l’inverse. Tu sais comme les rêves  sont bizarres… c’est parfois difficile d’avoir une image nette et cohérente. Ici, c’était comme une mystérieuse rencontre, pleine de tendresse. Et un fœtus qui m’a révélé son nom : Anna. Comme pour me dire :maintenant tu me connais, tu sais que je suis là.

Ça a été bouleversant. J’ai trouvé ce prénom magnifique, mais bizarrement je ne savais pas quelle orthographe nous retiendrions. Et je savais aussi, comme ma petite femme, que de nous-mêmes nous n’aurions pas choisi ce prénom. J’en ai déduis que nous avions un devoir de lui donner ce nom-là, qu’il devait correspondre à une vocation particulière. Et puis je me suis mis dans l’attente. Oui, pour moi la grossesse était démarrée. Clairement. Je sais, c’est complètement fou. Du coup ma femme a commencé à faire des petits calculs calendaires. Premier problème : manifestement ce n’était pas possible. Pas naturellement. Toujours en posant délicatement mes mains sur son ventre, convaincu qu’il portait désormais la vie, je me suis contenté de lui répondre : rien n’est impossible à Dieu. Puis j’ai juste attendu la confirmation, le moment où nous pourrions faire le test de grossesse, convaincu et subjugué par ce simple mystère : j’ai rencontré ma fille avant sa naissance. Pendant ces quelques jours, j’ai beaucoup prié pour rendre grâce, me répétant ces paroles de Dieu au prophète Jérémie «Avant de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais, Et avant que tu sortisses de ses flancs, je t’ai consacré ».

Puis le couperet est tombé. C’est cyclique, hein. Ma femme n’était définitivement pas enceinte. J’ai simplement rêvé. Rien d’autre. Là, reformulant un peu mes prières, j’ai commencé à me dire que j’avais sans doute un peu plus besoin de repos que je pensais. Que je commençais à friser les troubles du sommeil. Oui, c’était sans doute un signe, mais un signe qu’il fallait que je trouve un moyen de faire des nuits correctes. D’un autre côté, ça avait quelque chose de rassurant aussi. La vie redevenait normale. Pas de miracle, pas d’expérience mystique, rien que de très ordinaire. J’avais rêvé, sans doute même un peu trop refoulé un désir d’enfant. Les pensées reprenaient une allure maitrisable, un quotidien plus banal. Rassurant. L’histoire s’est arrêtée là.

Le 23 juin au soir, presque deux mois plus tard, comme beaucoup de monde, nous avons fêté la Saint Jean Baptiste avec ma paroisse. Grand feu de joie avec prière autour, danses bretonnes. Un vrai bon moment. Puis le lendemain dimanche, après la messe du matin faisant mémoire de la naissance du plus grand et du dernier des prophètes, qui tressaillit dans le sein de sa mère, nous sommes allé à la kermesse de l’école de notre grand, avant de rentrer à la maison pour une soirée toute simple, au calme. Rien pour nous laisser penser à ce qui était en train de se passer, à une centaine de kilomètres de notre petit salon. Le lendemain matin, alors que j’étais au boulot, mon petit frère m’a appelé. Là en revanche, c’était assez hors du commun pour que je devine immédiatement la raison de son appel. Sa copine était enceinte depuis environ 8 mois et demi. J’ai attendu l’heureuse nouvelle avec un sourire jusqu’aux oreilles. Et il a dit : « Elle est née hier soir. C’est une petite fille. Elle s’appelle Anna. » Mon sourire s’est figé. Je suis tombé sur ma chaise, et j’ai fondu en larmes. Je savais qu’on approchait de la fin de la grossesse. Je m’attendais donc à la naissance de leur enfant. Mais je n’attendais plus Anna. Et je n’avais pas pu imaginer qu’Anna fut la fille d’un autre, aussi proche de moi fut-il. Je ne sais pas pourquoi j’ai pleuré comme ça, mais je ne pouvais pas le retenir. C’était comme une résurrection. J’avais enterré ma rencontre avec Anna au cimetière des hallucinations et autres délires. J’avais manqué à ma foi. Je n’avais pas compris. Et puis il y avait ce mystère, devant lequel je me sentais tout petit. Minuscule, même. J’ai pleuré, comme tu pleures quand Jean-Pierre Foucault retrouve ton jumeau, perdu de vue il y a 20 ans, et te le présente en prime-time sur TF1, tu vois. Mais en vrai et sans télé. Le soir-même, je suis allé à la maternité. Mon petit frère était aux anges, sa copine était radieuse. Et j’ai pris leur fille dans mes bras. Elle a attrapé mon doigt de sa petite main encore fripée, et nous sommes restés là, un long moment, à nous parler de cœur à cœur. J’étais réveillé, cette fois.

Anna, tu es née ce 24 juin, en la fête de la naissance de Saint Jean Baptiste. Je ne sais pas si tu seras baptisée un jour, mais toute ta vie, tu garderas sans aucun doute un lien particulier avec ce précurseur du Verbe incarné. Pour le reste, Anna, tu as pris une place dans mon cœur que je ne connaissais pas, que tu as révélé et qui n’appartient désormais qu’à toi.

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