Comme beaucoup de monde j’ai accueilli la nouvelle avec une grande émotion : Benoit XVI renonce à sa charge. Je suis un peu nul en épitaphe, et cela tombe bien, il n’est pas mort. Toutefois, cette journée a comme un arrière-gout de deuil. Chacun dira ses meilleurs souvenirs, ce qui l’a marqué. J’ai moi aussi gardé des traces de ce pontificat. Benoit XVI est un peu mon premier pape. Baptisé en 2001, non par amour de l’Eglise mais par amour de Dieu (et crois-moi cela change beaucoup de choses), je n’ai pratiquement pas connu Jean-Paul II. Lorsqu’il est mort, j’avais tout juste commencé à gratter sous les préjugés, que je partageais alors avec une grande partie du monde, à propos du vieux grabataire. Si bien qu’avec Benoit XVI, j’ai mis un point d’honneur à ne pas me laisser lessiver la conscience à coup de nouveaux préjugés, trop vite arrivés. Et j’ai découvert le théologien.
Si bien sûr, comme beaucoup, je garde l’image d’un Pape dans la tempête, celle des médias comme celle des Quatre-Vents, ce qui m’a le plus marqué chez Benoit XVI, et sans doute ce qui passera le plus inaperçu dans les portraits qui seront faits de lui les jours à venir, c’est sa volonté de sortir la parole de Dieu de la sclérose exégétique dans laquelle elle tendait à s’enfermer depuis deux siècles. Et au risque de m’écarter un peu des intérêts médiatiques, j’ose prétendre que c’est là l’œuvre la plus importante de son pontificat. Bien sûr, elle est moins immédiate, et bien sûr, nous n’en voyons pas encore les fruits. Mais il a dégondé une vieille porte lourde et rouillée : celle de l’exégèse moderne. Il a voulu réconcilier les fidèles avec le Verbe. Pour nous catholiques, la Parole de Dieu est le cœur de notre vie, la source de notre foi. Et c’est cette parole de Dieu que Benoit XVI a voulu particulièrement libérer. Du concile Vatican II, c’est sur Dei Verbum que Benoit XVI a voulu axer le début de son pontificat. Je lui dis merci pour ce synode qu’il a convoqué, le premier de son pontificat, sur la parole de Dieu dans l’Eglise. Parce que «ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ ». Et l’on pourra faire tous les commentaires que l’on veut sur sa politique à l’égard du monde, des autres religions… c’est encore pour le service de la Parole de Dieu, dans son intelligence et sa cohérence qu’il a joué la partition de la vérité dialogante. Et c’est toujours par ce souci de nous ramener au sens profond de la Parole qu’il a déjoué tous les cadres d’interprétation politique : ses rappels quant à la morale et son combat pour la vérité dans l’Eglise, même quand elle enfouie sous une lourde chape malodorante, sa façon de diriger notre regard vers la contemplation de la Création, première manifestation de la Parole de Dieu. Tout dans le pontificat de Benoit XVI était centré sur l’évangélisation, en tant qu’elle nous entraine plus profondément dans la Parole. C’est ce qui rend son exhortation post-synodale, Verbum Domini, si touchante. Parce qu’elle est au plus intime de la mission qu’il s’était donnée… ou plutôt qu’il avait reçue.
Tu vois, j’ai tendance à penser qu’il y a deux types de catholiques, dans l’Eglise (dont je ne m’exclus évidemment pas) : ceux qui ne connaissent pas la Parole de Dieu, et ceux qui croient la connaitre. Benoit XVI a juste voulu stimuler les premiers, et gentiment recadrer les seconds. Mais ce travail si précieux pour nous ne paraît pas encore : c’est une graine semée, bien cachée dans la terre. Et il faudra toute la patience du cultivateur pour en attendre les fruits.
Je voudrais encore dire un mot de l’annonce d’aujourd’hui. J’ai eu du mal à l’accueillir avec les mêmes louanges que la plupart de mes coreligionnaires. Je n’arrivais pas à me sortir de la tête ce Jean-Paul II qui était allé au bout, et au bout du bout. Nous avons besoin d’espérance dans le Christ. Il m’a d’abord semblé que de renoncer ainsi serait certes sage si cela était venu de n’importe quel homme d’état, mais nous donnait un très mauvais signe sur la question de qui est à l’œuvre à la tête de l’Eglise : seulement un homme ? Je sais que Dieu n’agit pas sans l’homme, mais il lui donne mystérieusement la force de la charge. Alors après le choc, je suis resté perplexe. Et puis il m’est apparu que si Jean-Paul II, à la fin de son pontificat, ne portait plus son pauvre corps qu’à la force de la grâce, il a gardé toute sa tête jusqu’au dernier moment. Or il n’est pas exclu de songer à ce qu’un pape avancé en âge, même un pape, puisse être frappé peu à peu d’une forme de démence sénile, d’une maladie d’Alzheimer ou quoique ce soit qui ronge ses facultés mentales, sa mémoire et sa lucidité, et lui prenne in fine, sa liberté. Je n’ai évidemment pas de boule de cristal, mais il n’est pas exclu que Benoit XVI ait déjà été alerté pour lui-même de ce type de menace sur sa santé. Parce que je ne crois qu’il craigne tant l’agonie physique. En revanche, sans facultés mentales et peut-être à terme sans conscience, il n’est plus possible… même seulement de renoncer librement à sa charge. Que ce soit le cas ou non, je reste admiratif de l’humilité et de la liberté qui ont suscité cette décision. Benoit XVI, ce petit homme, cet humble serviteur, est un grand. Un très grand. Il garde évidemment toute mon affection, comme ce père qu’il m’est devenu. Et nul ne doute qu’il aura besoin de nos prières.