La fête de la circoncision du Seigneur

By | 10 juillet 2013

La Circoncision - Jean Soulas - Cathédrale de Chartres, ChoeurIl semble que le dialogue entre Rome et Ecône en vue d’une réintégration des fidèles de la Fraternité Saint Pie X dans la pleine communion avec l’Eglise soit en passe de se clôturer, sur une impasse. La FSSPX crache résolument sur les écrits du dernier concile, comme elle rejette par ailleurs le nouveau missel qui lui a fait suite. Personnellement, je ne vais pas regretter ses revendications en matière liturgique, qui échappent à toute rationalité.

Au contraire de les regretter, nous pourrions marquer le coup en revenant sur une modification du calendrier liturgique opérée à la veille de Vatican II, vraisemblablement sous l’influence interne la plus conservatrice, et que le nouveau missel de Paul VI a malheureusement entérinée : la suppression de la fête de la circoncision du Seigneur. Je dis malheureusement, parce que cette modification de la dernière heure, par un décret de la Sacrée Congrégation des Rites, en 1960, n’a vraisemblablement pas grand chose à voir avec les orientations qui allaient être celles du concile deux ans plus tard.

La fête de la circoncision du Seigneur, le huitième jour après sa naissance, était autrefois célébrée le 1er janvier (le huitième jour de l’octave de Noël, donc). Mais le missel en vigueur depuis 1970 n’en fait plus mention. Or figure-toi que notre calendrier liturgique actuel, fruit du concile Vatican II, répond à un certain cahier des charges (exprimé notamment dans la constitution sur la sainte liturgie, Sacrosanctum Concilium) dont l’un des objectifs consiste à redonner la priorité à la célébration du Christ (sur le culte des saints, considéré comme secondaire). Tout le contraire d’en effacer les mystères, donc. Aussi, si c’est dès 1960 que la Sacrée Congrégation des Rites supprime la fête de la circoncision du Seigneur, il n’en reste pas moins curieux que cette suppression ait été ratifiée 10 ans plus tard par Paul VI dans la mise en place du nouveau missel, effaçant de notre mémoire liturgique, contre toute logique, un mystère à part entière de la vie du Christ.

Dans l’avant propos d’un ouvrage récent 1, Didier Luciani pose la question des raisons possibles de cet effacement. Il évoque notamment une tribune du Monde, datée du 31 décembre 2005, dans laquelle l’anthropologue et psychologue Francis Martens s’est essayé à une théorie. Martens use d’une rhétorique provocatrice qui me déplaît profondément et d’une compréhension très relative de l’histoire du calendrier chrétien, mais… Mais il relève toutefois, très justement, combien la circoncision, caractéristique de la première alliance, associée à la fête de Marie Mère de Dieu, maternité par laquelle Jésus hérite sa judéité, est véritablement la fête « de l’appartenance de Jésus au peuple juif » ! La symbolique du lien entre les deux nous ramène inexorablement à cette appartenance, cet enracinement dans la première alliance.

Se pose donc la question de cette curieuse coïncidence chronologique de réformes antagonistes. Martens tente ensuite de montrer que cette fête du 1er janvier, par le changement d’année qu’elle opère, est ainsi comme une charnière temporelle entre les deux alliances. Outre le fait que son raisonnement, sur la base d’un jour de l’an civil et non liturgique, est plutôt bancal, Martens ne s’aperçoit pas du fait qu’il retombe ainsi malgré lui dans la logique d’opposition ancien/nouveau et de substitution 2 de laquelle il prétend vouloir libérer l’Eglise. Or s’il y a bien quelque chose que nous avons à redécouvrir de l’appartenance de la judéité de Jésus, c’est bien autre chose que le strict remplacement d’une alliance ancienne par une alliance nouvelle.

Reste que si le concile Vatican II a marqué les esprits comme ouvrant une ère nouvelle de dialogue et de filiation dans les relations de l’Eglise avec le judaïsme, la disparition de cette fête de la circoncision résonne comme une grosse et vilaine reculade ; une reculade anticipée, mais une reculade quand même. Un caillou dans les rouages de l’ouverture. Et c’est peut-être l’un des éléments qui expliquerait les difficultés que connait l’Eglise encore aujourd’hui dans la transformation de l’essai théologique marqué par la déclaration Nostra Aetate.

La disparition de la fête de la circoncision du Seigneur de notre calendrier liturgique n’est pas un détail, mais un problème aussi grave que symptomatique, qu’il faudra sans doute résoudre pour pouvoir purifier l’Eglise catholique des tendances néomarcionites qui l’infestent, et opérer la révolution intellectuelle que suppose une sortie effective de la théologie de la substitution. Et crois-moi, parler de révolution intellectuelle n’a rien d’une exagération. Si l’intuition est juste, alors l’enjeu est énorme.

Benoit XVI s’est montré un Pape audacieux dans la poursuite de cette révolution théologique. C’est une question qui lui tient à coeur depuis longtemps, comme en témoigne son livre L’unique Alliance de Dieu et le pluralisme des religions (Joseph Ratzinger, éd. Parole et Silence, 1999) ou encore son chapitre sur la destruction du Temple de Jérusalem, dans son second tome sur Jésus de Nazareth (éd. du Rocher, 2011). Il n’était donc (presque) pas étonnant de l’entendre faire à nouveau ce lien entre la maternité de Marie et la circoncision de Jésus dans son homélie du 1er janvier 2013, solennité de sainte Marie Mère de Dieu, et journée mondiale de la paix.

Peut-être Benoit XVI avait-il entendu l’appel lancé en 2010 par six éminents théologiens, pour le rétablissement de la fête de la circoncision du Seigneur le 1er janvier. Pourquoi pas. Note que chez nous, cet appel est passé totalement inaperçu (mis à part cet article de la revue France Catholique). Et pourtant, l’argumentation théologique vaut largement le détour 3, regarde :

Huit jours plus tard, quand vint le moment de circoncire l’enfant, on l’appela du nom de Jésus, comme l’ange l’avait appelé avant sa conception. (Luc 2,21)

Appel à S.S. Benoît XVI en vue d’un rétablissement de la fête de la Circoncision du Seigneur le ler janvier, associée à la fête de l’imposition du Nom de Jésus et de Marie, Mère de Dieu.

1. Le principe premier qui nous inspire est le suivant : l’omission d’un « mystère de la vie du Seigneur » se retourne contre l’intelligence croyante du mystère total du Christ. La séquence Nativité – Circoncision – Présentation au Temple (Lc 2,1-39) est constitutive de l’intelligence du mystère de l’Incarnation, dans l’accomplissement des promesses, comme la séquence Pâques – Ascension – Pentecôte (en Luc – Actes) l’est du mystère de la Rédemption pascale.

2. Le rapport de l’ancienne et de la nouvelle Alliance trouve dans le mystère de la Circoncision — c’est-à-dire dans l’entrée de Jésus enfant dans l’« alliance à jamais » de Dieu conclue avec Abraham (Gn 17,9-14) — son symbole le plus concret, inscrit dans le corps du Seigneur. Le sang versé par Jésus lors de la Circoncision, « pour» l’Alliance ancienne, sera celui qu’il versera pour l’Alliance nouvelle, dans sa conclusion pascale.

L’amnésie du mystère de la Circoncision du Seigneur porte atteinte à la juste compréhension du dessein de Dieu. « Dieu a envoyé son Fils, née d’une femme et assujetti à la loi » (Ga 4,4) : la Circoncision est l’expression première de l’obéissance à la loi par celui qui l’a portée à sa perfection (Mt 5,17), au point de faire vivre l’un et l’autre, le circoncis et l’incirconcis, le Juif et le Gentil (Rm 3,30), de l’Esprit de l’accomplissement évangélique 4.

3. Le mystère de la Circoncision est le cadre, et l’unique cadre, d’un autre mystère, celui de l’Imposition du Nom de Jésus. Rétablir liturgiquement le lien des deux mystères, le « huitième jour » (Lc 2,21), c’est donner à l’attachement des croyants au Nom de Jésus sa perspective la plus juste, et c’est consolider la spiritualité du Nom de Jésus en général.

Le Nom de Jésus, lié à sa personne depuis sa conception (Mt 1,21; Lc 1,31), est certes celui de l’enfant né à Bethléem, mais il n’est donné au nouveau-né et révélé à tous que le « huitième jour », lors de la Circoncision, c’est-à-dire dans un rituel inscrivant la famille et l’événement de la naissance dans le cadre de l’alliance de Dieu. La Mère de l’enfant, qui accueillit la révélation du nom (Mt, 1,21 ; Lc 1,31), s’est, la première, conformée à ce rituel : le mystère de son enfant (et de son Nom) est à la dimension du Dieu de l’alliance, du « Dieu qui sauve » (Yehou ‘a – Yeu’a). Dans ce don du Nom, Joseph a pleinement joué son rôle paternel (voir Mt 1,21.25 ; cf Jean-Paul II, Redemptoris Custos, 11-12), inscrivant Jésus dans la filiation de David (voir Mt 1,16) et donc dans la promesse de Dieu « pour toujours » à la maison de David (voir 2 Sm 7).

Ce don du Nom dans le cadre de l’Alliance et des promesses éclaire le don de chaque nom lors du sacrement du baptême : les (pré)noms donnés aux enfants ne sont pas des reflets des vœux de leurs parents ; jusque dans leur sens, ces (pré)noms inscrivent les enfants dans la fidélité du Dieu de l’alliance.

4. La fête de la Circoncision est l’affirmation liturgique la plus appropriée d’une dimension de l’Incarnation que la culture contemporaine (y compris théologique) tend à ignorer ou à distordre : l’identité sexuée du Messie de Dieu. Les confusions qu’entretiennent certains à propos du rôle joué par la différence des sexes dans le dessein du Dieu créateur et sauveur sont nées d’amnésies profondes ; un rétablissement de la fête de la Circoncision pourrait contribuer à les guérir.

5. L’histoire de la fête de la Circoncision est significative d’un « développement » de la mémoire liturgique et théologique de l’Église, qui a progressivement pourvu de son sens le jour de l’octave de la fête de Noël 5. D’origine orientale (byzantine), la fête s’est progressivement répandue en Occident — en Italie méridionale (Lectionnaire de Capoue [546]), ainsi qu’en Espagne et en Gaule (Concile de Tours [567]). À Rome, l’octave de Noël était au départ consacrée à la maternité divine de Marie (station à Sainte-Marie ad martyres, transférée à Santa Maria in Trastevere) ; la mémoire de la Circoncision y fut jointe à la fête mariale vers le VIIIe ou le IXe siècle. Quant à la fête de l’imposition du Nom, spéciale à l’ordre franciscain au xvic siècle, elle fut étendue à l’Église universelle par Innocent XIII, en 1721. Ce développement par accrétion traduit une croissance de l’intelligence liturgique et théologique de l’Église, reliant le mystère de Marie au mystère du Christ, et les situant l’un et l’autre à la charnière des deux alliances. En unissant des fêtes au départ séparées, la liturgie et la théologie ont fait preuve d’une intelligence proprement biblique du mystère (voir les points 1, 2 et 3 ci- dessus). Rétablir la fête de la Circoncision, unie à la fête de Marie, Mère de Dieu, c’est respecter la croissance de la Lex orandi, et c’est revitaliser la Lex credendi sur des points d’importance, et ceci dans le peuple de Dieu tout entier.

6. Un tel rétablissement aurait une dimension œcuménique, puisque les Églises d’Orient ont conservé la fête de la circoncision de Jésus huit jours après sa naissance (le 14 janvier dans le calendrier orthodoxe). Signalons qu’en Occident la fête de la circoncision est toujours célébrée dans le rite ambrosien (« Ottava del Natale nella Circoncisione del Signore »).

7. Le rétablissement de la fête de la Circoncision sera immédiatement intelligible de la part des « frères aînés » que sont les membres du Peuple juif ; ce rétablissement sera reçu comme une forme renouvelée de respect pour l’identité juive de Jésus : « Jésus était juif et l’est toujours resté » (Note de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme « Pour une correcte présentation des Juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique » [1985] III, 1), et ceci non seulement en raison de sa naissance, mais aussi de son entrée par la circoncision dans l’Alliance conclue par Dieu avec ses pères, Abraham, Isaac et Jacob.

8. Le 1er janvier est certes un jour déjà liturgiquement riche et chargé. Toutefois, ainsi qu’il a été manifesté plus haut (point 5), la fête mariale et la fête christologique ne sont pas en concurrence. La fête de la Circoncision donne à la maternité de Marie, mère de l’Emmanuel, « fille de Sion » (pour ce dernier titre, voir LG 55), sa perspective christologique la plus juste, à la charnière des deux alliances ; dans la compassion de la mère devant le sang versé par son Fils s’anticipe déjà la figure de Marie au pied de la croix 6. Il en va de même pour la « Journée mondiale de la Paix » : Jésus Christ est « Prince de la paix » parce que, du jour de sa circoncision à celui de sa mort, il a désarmé la logique du sang versé en versant son propre sang pour la réconciliation des hommes.

Il est toujours possible, pastoralement, de développer les harmoniques du ler janvier liturgique au long des jours qui suivent, mais ce serait appauvrir le mystère que distribuer en des fêtes successives ce qui s’est accompli dans la sainteté d’un seul jour, le huitième.

 

Georg BRAULIK, o.s.b.,
Norbert LOHFINK, S.i.,
Gerhard LOHFINK,
Jean RADERMAKERS, S.i.,
Christian RUTISHAUSER, s.j. (rédaction) et
Jean-Pierre SONNET, s.j. (rédaction).

Je ne suis pas certain que le pontificat de François témoignera de la même motivation que celle dont pouvait faire preuve Benoit XVI pour ce qui est de l’intelligence de nos racines juives. Il a d’autres priorités, que je fais miennes également. Mais je reconnais que je l’espère un peu, quand même. La récente encyclique Lumen Fidei, bien qu’essentiellement inspirée par Benoit XVI, me laisse un peu dubitatif sur cette question 7. Les chapitres sur la foi d’Israël et la foi chrétienne continuent de parler de la foi d’Israël au passé, comme si son histoire s’était arrêtée avec la naissance de l’Eglise. Mais parallèlement, l’encyclique semble renouer avec une exégèse de l’Ecriture qui emprunte les traits de l’exégèse rabbinique (par exemple, dans le début du deuxième chapitre). Difficile d’en dégager une tendance. C’est là que l’espérance prend le relais.

Notes:

  1. Ouvrage collectif La Circoncision – parcours biblique, sous la direction de Régis Burnet & Didier Luciani, éd. Lessius, 2013. Le texte de l’appel à Benoit XVI que cite mon billet est tiré d’une annexe de cet ouvrage.
  2. Le passage de l’ancienne année à la nouvelle année symbolisant potentiellement le passage de l’ancienne alliance à la nouvelle alliance
  3. Oui, pas grand chose à voir avec les questions de forme soulevées par Tradiland
  4. La symbolique de la circoncision est si forte qu’elle permet à Paul de présenter le baptême comme une « circoncision où la main de l’homme n’est pour rien » (Col 2,11).
  5. Voir F. CARROIE., art. « Circoncision (fête de la) », dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, vol. 3, Paris, Letouzey et Ané, 1914, col. 1717-1728; A.G. MORTIMORT, L’Église en prière. Introduction à la liturgie, vol. 4 : La liturgie et le temps, Paris, Desclée, pp. 98 et 149.
  6. Voir Ignace de Loyola, Exercices spirituels, «Mystères de la vie du Christ », « La Circoncision » : « On rend l’enfant à sa mère, qui avait compassion pour le sang qui coulait de son Fils » (n° 266).
  7. Sur cette question uniquement : je suis par ailleurs très à l’écoute des autres aspects de réflexion sur la foi qui s’en dégagent.

7 thoughts on “La fête de la circoncision du Seigneur

  1. Goéland

    Belle idée de mettre à l’honneur. Mais je suis étonné par ta remarque sur « l’influence interne la plus conservatrice » qui aurait fait supprimer cette fête. Je me souviens avoir lu un article de blog, que je ne parviens pas à retrouver aujourd’hui (évidemment) sur le salon beige, ou un blog du même genre, qui regrettait cette disparition de la fête de la circoncision, et qui prenait même cette fête comme exemple pour montrer que l’Eglise n’avait pas été antisémite avant Vatican II. D’ailleurs, les plus tradis fêtent encore la circoncision (voir le calendrier liturgique de la FSSPX : http://www.fsspx.org/fr/organisation/le-calendrier-liturgique/?month=jan&yr=2013).

  2. Pneumatis Post author

    Ah flûte, pour une fois que je voulais trouver des cases pour les gentils et les méchants, tu me casses mon truc ! ;) Bon, je ne sais pas ce qu’il en était, et c’est une histoire compliquée : d’un côté, à l’époque de cette décision (1960), était à la tête de la Sacrée Congrégation des Rites le (très conservateur) Cardinal Benedetto Aloisi Marsella. Mais d’un autre côté, il faut reconnaître que la suppression a été entérinée par la réforme liturgique de Paul VI. Quoiqu’il en soit, imputer à Jean XXIII (ou le courant dans l’Eglise qui en était le plus proche) une telle décision me semblerait plutôt absurde. Mais après ce n’est peut-être pas du tout une affaire de « courant », mais juste de « personne », hein. C’est même surement ça, d’ailleurs.

  3. Charles-Marie

    Paradoxalement, cela fait un peu point de détail, quand même!
    Car pour faire connaître Jésus, annoncer l’Evangile, remettre une brique supplémentaire à une fête relativement peu fréquentée, il y a de grandes chances que cela passe inaperçu.

    Cela dit, sur le principe, je suis tout à fait d’accord avec l’appel à Benoît XVI.

    Et j’ajouterai une certaine ambivalence dans mon rapport à cette circoncision :

    S’il est vrai que la mention du « Sacro-Saint Prépuce » est une dérision facile pour les anticléricaux primaires (bien que les Monty Python ne l’aient pas utilisé dans « La Vie de Brian »), vu que Calvin et Voltaire s’en moquaient déjà (cf l’article de Wikipedia à ce sujet, d’ailleurs sais-tu si comme l’indique l’article le prépuce est censé être enterré la circoncision), et que j’ai du mal à ne pas être légèrement dégoûté en me représentant la vision de sainte Catherine de Sienne recevant de Jésus son prépuce comme bague d’alliance pour son mariage mystique avec lui,…

    …ma réticence me renvoie complétement dans la face le caractère corporelle, vrai homme, vraiment homme même dans les « parties honteuses » (signification anatomique), et que ma réticence à vénérer une telle relique, si elle existait et était attestée, alors que j’ai beaucoup moins de mal pour vénérer la couronne d’épines, le voile de la Vierge par exemple, renvoie quelque chose de cette nouvelle joyeuse et révolutionnaire que le Verbe s’est VRAIMENT fait chair, et que je dois m’agenouiller devant un enfant quibraille, qui fait ses besoins dans une grange qui sent l’animal, ce qui était difficile voire inconcevable pour les prélats romains.

  4. Pneumatis Post author

    Oui, Charles-Marie, ton propos est excellent ! Tout cela nous renvoie évidemment à la véritable Incarnation, c’est précisément cela. Quel est aujourd’hui le plus grand mal de notre foi chrétienne, sinon celle d’être devenu toujours plus une foi « mentale ». Oh on dit bien qu’il faut vivre ce en quoi l’on croit, qu’il faut incarner… mais si tu regardes bien, on tient ce discours pour tout ce qui relève de la justice sociale et de la fraternité. Nous ne professons généralement « l’incarnation » que pour ce qui est de la relation homme-homme. Mais la résurrection de la chair ? En vrai de vrai, quoi ! Dieu incarné, vraiment ? Le corps glorieux de Jésus qui peut être touché, des plaies dans lesquelles on peut mettre ses doigts ? Une ascension aux cieux du corps tout entier ?

    Dans la toute première version de l’intro du bouquin que je prépare sur l’Incarnation, il y a déjà six mois, je terminais en proposant une méditation sur l’Incarnation comme image de l’Eucharistie, « dont le Temple et la Circoncision seront ici les deux espèces : le corps du Seigneur donné (Temple) et le sang de l’alliance versé pour la multitude (Circoncision) ». Entre temps, d’analyse textuelle en analyse textuelle, je me suis éloigné de cette intuition première, me focalisant sur le sacerdoce… J’y reviens finalement.

    Pour ce qui est de la circoncision, regarde bien toutes les fêtes/dates que je propose d’aborder pour les mystères de l’Incarnation : elles ont toutes un lien de fond avec la circoncision, toutes !

    – L’Annonciation, le premier nissan : premier jour de l’investiture sacerdotale est par définition un « huitième jour » (Lv 9, 1)
    – La Naissance, le « huitième jour » de Hanouka
    – La circoncision du Seigneur le 10 tevet, bon ben c’est une circoncision, hein
    – La présentation au Temple, jour de TouBiShvat, fête de « la circoncision des arbres ».

    Alors oui, j’y reviens à mon intuition première. :)

  5. Pneumatis Post author

    Pour revenir sur la question du point de détail, en fait je crois que c’est beaucoup plus « essentiel » qu’il n’y paraît, mais à condition de le considérer comme dans un ensemble. Dans ce plan d’ensemble, je crois qu’il nous faudrait expurger la liturgie de toutes les semences païennes qui y sont mêlées.

    Par exemple, félicitons-nous de ce que notre temps soit encore organisé en « semaines ». Toutefois, quelle est aujourd’hui cette semaine ? J’essaie d’apprendre à mes enfants, malgré l’école, malgré l’habitude sociale, que non le dimanche n’est pas le dernier jour de la semaine, mais le premier. J’essaie de ne pas parler de « week-end » (je dis bien, j’essaie)… Autre chose : dans cette semaine, les noms des jours évoquent encore les dieux du panthéon romain, et nos mois y mêlent ceux d’empereurs païens. Quand notre liturgie sera-t-elle expurgée de ces racines d’idolâtrie ?

    Ma dernière question, telle que formulée, invite à méditer sur ce que nous pouvons percevoir comme un détail. L’entrée en terre promise est conditionnée par une et une seule chose : l’éradication de l’idolâtrie.

    Ex 23 : « 24. Mon ange ira devant toi et te mènera chez les Amorites, les Hittites, les Perizzites, les Cananéens, les Hivvites, les Jébuséens, et je les exterminerai. 25. Tu ne te prosterneras pas devant leurs dieux ni ne les serviras ; tu ne feras pas ce qu’ils font, mais tu détruiras leurs dieux et tu briseras leurs stèles. […] 32. Tu ne feras pas alliance avec eux ni avec leurs dieux. 33. Ils n’habiteront pas ton pays, de peur qu’ils ne te fassent pécher contre moi, car tu servirais leurs dieux et ce serait pour toi un piège.  »

    « Ils n’habiteront pas ton pays, de peur qu’ils ne te fassent pécher contre moi ». Tout est dit ! Il y a une « habitation » qui est structure de péché. Oh non, je ne prône pas le génocide ou le bannissement des païens… mais je dis qu’il n’y a rien de plus liturgique qu’un calendrier. Et quand ce calendrier est encore à ce point signifiant d’idolâtrie, je crois qu’il participe beaucoup plus qu’on ne le croit à être une structure de péché. Les révolutionnaires l’avaient compris, en tentant de changer le calendrier… et le très intelligent Vincent Peillon aussi, qui pense que la révolution n’est pas terminée, et qui veut achever la mise en oeuvre de la religion qu’il appelle « laïcité ». Si l’histoire obéit pendant un temps à son souhait, inspiré du démon, alors cela passera, tu verras, par beaucoup de « petits détails » : comme sans doute au bout du bout, le fait de changer la durée de la « semaine ». Même s’il est probable que ce soit la dernière et ultime étape de cette entreprise du démon. Mais je digresse…

    Bref, dans le cas de la circoncision du Seigneur, il ne s’agit effectivement pas d’une entreprise de « sécularisation » de notre calendrier liturgique au profit de quelques païens… Mais dans ce que je disais juste avant, ce ne sont pas les « païens » les ennemis de la foi, ce sont les démons. Et ceux qui inspirent une sécularisation agissent dans le même sens que ceux qui nous éloignent de nos racines, que ceux qui nous éloignent du mystère de l’Incarnation, etc. L’exemple de la « laïcisation » du calendrier, entreprise objectivement idolâtre, démontre simplement que le démon, lui, considère beaucoup moins que nous comme un détail les questions de modification du calendrier.

  6. Charles-Marie

    Oui, je te rejoins tout à fait sur l’importance du calendrier : Auguste Comte l’avait compris quand il a rédigé son catéchisme positiviste, avec calendrier et fêtes, et Chesterton dans Hérétiques dit d’ailleurs que c’est la seule partie du positivisme qui lui semble cohérente, car l’homme a naturellement besoin de structure, de cadre pour le temps, les fêtes.

    D’un autre côté, je reste sensible (mais est-ce à cause de mon histoire personnelle? une forme de complaisance, un refus de l’affrontement?) au fait que, dans son histoire, les évangélisateurs ont préféré s’intégrer aux cultures à qui ils annonçaient le Christ, christianiser de vieilles traditions (cf sainte Brigitte par exemple) plutôt que de rompre catégoriquement avec elles. Trois temps de réflexion :

    1) sur notre propre culture gréco-romaine, qui a permis de donner de grandes oeuvres et de grands saints. Paul à l’Agora, Dante et Virgile, Thomas d’Aquin et Aristote…je ne pense pas qu’il serait souhaitable de purger notre cadre de vie des antécédents, certes païens à l’époque, mais où l’Esprit soufflait déjà et le mystère était voilé (cf les grands mythologues que sont Tolkien et Lewis, particulièrement pour ce dernier dans « Un visage pour l’éternité »); même si c’est sûr, des penseurs (Luc Ferry qui veut revenir au stoïcisme) et politiques (tu les cites très bien) ne se gênent pas pour rêver du contraire. Mais enfin, cela dure depuis le XVIIIe siècle au moins, nihil nove sub soli (ou à peu près, mon latin étant médiocre).

    De plus, comme l’illustre très bien Neil Gaiman dans « American Gods », les idoles d’aujourd’hui sont plus l’argent, le sexe, la voiture, les écrans que Jupiter, Mercure, Venus ou Mars qui sont mentionnés pour nos jours de semaine et les planètes de notre système solaire.
    Je crains ainsi beaucoup plus les dégâts qu’occasionnent Mannon, l’argent maître cruel , Moloch, le dévoreur d’enfant pour notre confort, (et dans un autre registre, Pan et Ishtar) que Saturne ou Apis.

    2) Ceci étant posé, je reconnais par contre que ce qui est occasion de pêcher, il faut l’arracher (Mt 18,8-10), et que cela a dû faire pârtie de la feuille de route de St Martin, tout comme Esdras a su arracher les poteaux « sacrés ».
    Mais je suis un peu frappé du fait que, sur cette question comme dans ton billet précédent sur le baptême, tu fasses preuve d’une (saine en ces temps de relativisme et laxisme généralisés) virulence certaine.
    « il nous faudrait expurger la liturgie de toutes les semences païennes qui y sont mêlées » dis tu…
    Cela me fait penser à ce que Martin Steffens appelle le « non par exces » : tu es peut-être si rempli de la grandeur des sacrements que tu ne peux que refuser ce qui les amoindrit.
    Et je prends « sacrement » au sens large, désignant également la richesse de communication entre Dieu et l’homme qui passe par le Temple.
    Je crois vraiment cette posture saine « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » (Mc 12,34), surtout en ce moment, mais qui comporte son propre péril (je ne te refais pas les malédictions de l’Evangile), péril souligné par le Pape qui nous demande de ne pas être des douaniers.

    3) la circoncision de la chair, des bêtes, des arbres…celle du coeur est la seule véritable, mais quel signe avons-nous que nos coeurs sont circoncis?
    Du Temple, bien légitime, ou du haut lieu de Gazirim, pourtant idolâtre, l’un est légitime, reste à adorer, et c’est maintenant, en esprit et en vérité. Avec la liberté et la puissance de l’esprit, mais avec l’exigence de la vérité de celui qui seul EST. Tout un programme!

  7. Pneumatis Post author

    Tu as raison, il est possible que je me montre trop virulent, mais c’est ne pas amère – et je crois que tu l’as senti – c’est mon idéalisme à moi :)

    Merci ce commentaire riche de tes sages nuances ! J’aime la nuance, et l’apprécie d’autant plus chez les autres quand elle vient à me faire défaut ;)

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