Une histoire presque banale

By | 13 novembre 2013

Egalité des chancesC’est l’histoire de Stéphanie… disons qu’aujourd’hui elle s’appelera Stéphanie, pour préserver son anonymat ; cet anonymat tragique qui nous fait ignorer la réalité dont elle témoigne.

Stéphanie a 23 ans, elle est jolie, a une petite formation d’aide à la personne, parce qu’elle veut pouvoir s’occuper de personnes âgées. Mais Stéphanie a eu des petits problèmes de dos, de ceux qui font dire au médecin : vous ne pouvez pas porter de charges. Alors pour l’aide à la personne, Stéphanie devra se contenter soit des ménages, soit d’occuper un poste administratif. Le problème, c’est qu’il n’y a pratiquement aucun poste, aucune place, nulle part. Stéphanie a balancé des CV dans toute la région, elle frappe à toutes les portes. Et pourtant, je vais te dire : elle présente bien, Stéphanie. Oui, mais elle a des problèmes de dos.

Elle doit songer à se reconvertir, faire une formation administrative, tenter quelques concours. Le problème, c’est que Stéphanie n’a plus ses parents. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, elle n’en a rien dit. Elle a vécu avec un petit ami quelques temps, qui avait un appartement de fonction. Mais l’histoire s’est terminée, et elle se retrouve sans personne. Avec le mec, l’appartement, elle a aussi perdu les amis. Et comme elle a moins de 25 ans, elle n’a pas le RSA, aucune aide, rien, nada. Pas de dettes non plus, remarque, c’est déjà ça. Elle a trouvé un peu de ménage à faire, ce qui lui permet de récupérer dans les 200 euros par mois. Alors, pour manger, elle vient chercher un colis alimentaire.

Ce qui est frappant chez Stéphanie, c’est son énergie. Elle te raconte son histoire sans serrer les dents, sans verser de larme, avec un sourire plein de vigueur, plein d’espoir. Les dents serrées, les larmes, c’est toi qui les retiens.

Stéphanie nous dit qu’heureusement, elle est hébergée depuis peu à titre gratuit. Nous savons où : dans cet entonnoir qu’un de nos bénévoles a qualifié, sans tergiverser, de « maison de passes ». Il est évident que Stéphanie n’a pas envisagé de plan de carrière comme prostituée. La question que je me suis posée, c’est : combien de temps résistera-t-elle aux évidentes sollicitations qu’elle recevra ; sinon même à la pression qui viendra, de devoir choisir entre se coucher où retourner à la rue. Parce qu’elle est jolie Stéphanie, que c’est vendeur et que pour ce métier là, on ne s’occupe pas trop de tes problèmes de dos.

De cette petite association chrétienne locale, placée sous le patronage de saint Vincent de Paul et de Frédéric Ozanam, où elle est venue frapper à la porte, Stéphanie est repartie comme elle est venue, avec juste quelques sourires et les trop lourds sacs de son colis alimentaire sur les bras. C’est ce qu’elle était venue chercher. Et tant pis pour les problèmes de dos.

Stéphanie a l’air d’être une bosseuse, courageuse, et elle s’en sortira j’en suis certain. Mais pour moi qui n’ai su faire que l’écouter, prier pour elle, après l’émotion vient la révolte, et la colère. Après la nuit passée, je me dis que j’aurais dû lui proposer de venir à la maison, je me dis que ça aurait été facile de la dépanner. Plus facile que ces trop nombreuses jeunes femmes, un peu dans la même situation, mais qui ont arrêté l’école sans même avoir le brevet des collèges et qui se sont faites faire un enfant par un gars parti depuis 6 mois chercher ses papiers dans son pays. Et je me révolte de n’être tenté de l’aider elle que parce que ce serait a priori « plus facile ».

Même une association locale faite d’un tas de bonnes volontés est impuissante, ici. Elle dépanne, mais elle ne change pas la donne. Impuissante, parce que cette histoire est trop banale aux bureaux des colis alimentaires, quotidienne même. Sa seule originalité à celle-ci, c’est justement qu’elle paraît presque facile à résoudre. Même si, aux espoirs, se mêlent les craintes : d’un faux pas trop tragique, d’un engrenage infernal. Alors ma révolte, elle est là aussi. Stéphanie n’est pas un cas isolé, c’est systémique. Avoir moins de 25 ans et pas de famille, en France, c’est être condamné à la rue. C’est ça la réalité de notre égalité des chances.

One thought on “Une histoire presque banale

  1. Thierry JAILLET

    En Ile de France, les missions locales peuvent envoyer ces jeunes en Pôle de Projet Professionnel, gratuit et rémunéré, pour trouver un nouveau projet, des stages, une formation. Ça peut marcher …enfin, on s’y emploie.

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