Il faut savoir reconnaître les signes que la Providence nous envoie, que l’on soit croyant ou non. C’est officiel, le président israélien Shimon Peres et le chef de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas viendront prier avec le Pape François au Vatican : le 8 juin, dimanche de la Pentecôte. L’invitation du Pape, et le fait que les deux hommes l’acceptent, avait déjà quelque chose de surréaliste. Fixé au jour de la Pentecôte, c’est de toute évidence surnaturel.
L’histoire de la tour de Babel raconte que Dieu confondit les langues des hommes afin qu’ils ne s’entendent plus, et qu’il les dispersa sur toute la surface de la terre. En effet, la Bible enseigne que les hommes, à une époque où tous se comprenaient, chacun quelle que soit sa langue, décidèrent de construire une ville immense, avec une tour pénétrant les cieux, figure de l’orgueil sans limite de l’homme, voulant atteindre Dieu par ses propres forces (Gn 11,1-9). Le mythe confère ainsi une dimension mystique au fait que les nations du monde, ne se reposant que sur leurs propres forces (politiques), dans tous les âges, tous les siècles, s’attachent systématiquement à se faire la guerre. « Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur dispersa les hommes sur toute la surface de la terre. » (Gn 11,9)
La Pentecôte est l’histoire inverse de Babel. C’est d’abord l’événement raconté par le livre de l’Exode : Dieu délivra les fils d’Israël de l’oppression en Egypte. Ceux-ci, après avoir traversé la mer à pieds secs, guidés par Moïse, arrivèrent alors au pied de la montagne du Sinaï. Là, le Seigneur apparut et leur fit don de la Torah, autrement dit sa Parole. C’est cet événement que la fête de Shavouot ou Pentecôte (car elle est fêtée 50 jours après Pessah) commémore dans le judaïsme. L’histoire biblique relate une théophanie impressionnante, unique, pour le peuple, un événement exceptionnel : Tout le peuple voyait les voix, les flamboiements, la voix du cor et la montagne fumante (Ex 20,14). La tradition dit que la Torah fut donnée pour tous les peuples, dans toutes les langues, mais que seul Israël l’accueillit : tout ce qu’a prononcé le Seigneur, nous ferons et nous écouterons (Ex 24,7). On dit aussi que la parole de Dieu était visible, comme du feu, pour expliquer que « tout le peuple voyait les voix » (Ex 20,14).
Le Nouveau Testament enseigne quant à lui que c’est le jour de cette fête, quelques siècles plus tard, que les apôtres reçurent l’Esprit Saint, venant sur eux en se séparant comme des « langues de feu », dans un grand bruit, comme un violent coup de vent (Ac 2,2-3). On comprend ici que la théophanie du Sinaï s’actualise. L’auteur poursuit en rapportant qu’à l’occasion du pèlerinage pour la fête, des juifs pieux venus de toutes les régions du monde se rassemblèrent, avec les disciples de Jésus, à Jérusalem. S’accomplit alors le miracle : on entendit les disciples de Jésus annoncer la bonne nouvelle, chacun dans sa propre langue. Les hommes venus de toutes les nations s’exclamèrent alors : tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans notre langue les merveilles de Dieu ! (Ac 2,11).
Le récit nous fait comprendre que l’ère de Babel touche à sa fin, et que Dieu inaugure une nouvelle ère de paix. Seulement, ce qu’annonçaient les prophètes comme la fin des temps, le salut final, n’est pas un qu’un point sur la frise du temps, avec lequel l’histoire sainte s’achève, mais un événement qui s’accomplit désormais en se déployant, depuis cette venue de l’Esprit Saint, dans la suite de l’histoire des hommes, jusqu’au grand retour du fils de l’homme sur les nuées.
Mais depuis cette nouvelle théophanie, Jérusalem – dont le nom signifie littéralement « cité de la paix » – sera ensuite rasée et son Temple détruit, en 70 de notre ère. Puis la Terre Sainte sera systématiquement, au long des siècles, le centre névralgique des conflits religieux. On comprend qu’espérer la paix en Jérusalem, prier pour que la cité soit enfin ce que sa vocation lui commande, n’est pas un espoir purement humaniste : c’est une espérance qui coïncide avec celle de l’avènement du royaume de Dieu. La paix dans Jérusalem est une figure de la promesse du salut, et nos yeux sont attirés vers elle, que nous en ayons ou non conscience, comme vers le lieu où doit surgir le prince de la paix ; non pas d’une paix, mais de la paix éternelle.
La Pentecôte, ce n’est pas un miracle concernant seulement des « langues ». La diversité des nations, leur dispersion et confusion, aux temps bibliques, c’est surtout la dispersion des cultures, et avec elles, des cultes. Babel, c’est surtout le synonyme de pluralisme religieux, un pluralisme conflictuel. Et la Pentecôte, c’est d’abord ce rassemblement inspiré par Dieu qui transcende les cultes et les cultures, pour refaire de la diversité des nations une seule famille humaine. Non, la Pentecôte, ce n’est pas la fin du pluralisme religieux, tous les hommes adorant Dieu dans un même culte. Sans doute avons-nous encore du chemin à faire pour comprendre et assumer une telle idée et à en nourrir notre vocation missionnaire.
A Rome, pour la prochaine Pentecôte, il ne sera pas question de relancer le processus de négociations israélo-palestinien, encore moins de positionner le Vatican comme médiateur. Le rendez-vous ne sera pas politique, et Rome ne sera pas une nouvelle Babel. Le pape François l’a rappelé lors de la conférence de presse dans l’avion qui le ramenait de Terre Sainte à Rome, l’invitation qu’il a lancée aux deux chefs d’états n’est pas diplomatique. Ce jour-là, il sera uniquement question de prier. Seulement de prier, mais ensemble : un chrétien, un juif et un musulman, pour la paix que Dieu donne. Une prière pour le royaume de Dieu.
Et voilà, un chrétien, un juif et un musulman, au cœur de Jérusalem, ont tourné les yeux du monde vers la « cité de la paix » en renouvelant l’espérance. Ces représentants des trois grandes religions monothéistes, adorateurs du Dieu unique et espérant dans la venue de son jour, vont se rassembler pour prier. Ils le feront à l’occasion de la Pentecôte chrétienne, signe du royaume et de la venue du prince de la paix. C’est merveilleux. Alors, que notre prière se joigne à la leur, et que le Seigneur en donnant sa paix, veuille ainsi se faire connaitre au monde entier. Amen.